Le report de la compétition phare du football africain à l’hiver 2025 a relancé le débat sur la périodicité de la Coupe d’Afrique des nations. Son harmonisation au très surchargé calendrier de la FIFA divise l’opinion sur le continent sur le poids véritable de la Confédération africaine de football sur l’échiquier mondial. Dispose-t-elle des coudées franches pour agir ? Quelles sont les incidences de ce report sur la détermination du Maroc, pays hôte, d’en mettre plein la vue à l’Afrique du football. Des centres d’intérêt évoqués avec Junior Binyam, ancien chef du département Communication de la Caf et directeur associé de Quick Witted Ltd.
La CAN, une bataille de souveraineté
Junior Binyam, journaliste, ancien directeur du département Communication de la Confédération africaine de football
Avec le report de la CAN 2025 au Maroc, c’est un énième report d’un évènement CAF au profit d’un agenda parallèle. Votre lecture de ce qui passe pour du mépris vis-à-vis de l’Afrique ?
Je ne saurais parler de mépris pour l’Afrique. Je pense qu’à un moment donné, on ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes. L’Afrique avait déjà un certain nombre de droits acquis sur lesquels elle n’a pas su s’arcbouter ou alors à partir desquels elle n’a pas su bâtir l’avenir de sa compétition phare qu’est la Coupe d’Afrique des nations de football. À partir de 2017, probablement mû par l’ivresse du changement qui intervenait à la tête de la Confédération africaine de football, on a décidé que la CAN devait désormais s’aligner sur le calendrier européen en se disputant en juin-juillet. On a décidé de faire abstraction de la mémoire institutionnelle et d’ignorer les paramètres climatiques sur le continent et qui n’avaient jamais milité pour cette option.
Pour la CAN 2019 qui s’est jouée en juin-juillet en Égypte, on s’est retrouvé avec des coups d’envoi qui étaient donnés parfois à 21 h voire 22 h, qui est l’heure limite en raison des fortes chaleurs qu’on peut enregistrer dans la zone à cette période-là. Pour les éditions de 2022 au Cameroun et en Côte d’Ivoire, on est très vite revenu à janvier-février, puisqu’en juin-juillet, avec les fortes précipitations dans les deux pays, il était difficile de jouer. La CAF a peut-être ouvert la boîte de Pandore pour ne plus maîtriser la programmation d’une compétition qui est sa principale source de revenus. La programmation et la Coupe d’Afrique des Nations a toujours été une bataille de souveraineté. Pour les dirigeants de la CAF d’une certaine époque, la CAN devait se jouer à la période la plus convenable climatiquement pour l’Afrique et non à la période qui pouvait être celle regardée comme idéale pour un calendrier qui n’est pas le calendrier africain.
Habituellement, qu’est-ce qui précède un report d’évènement comme ce qui vient de se passer avec la CAN 2025 ? Y a-t-il des signes avant-coureurs ou des tractations en couloirs qui vous font comprendre que le report est incontournable dans certains cas ? Si oui, lesquels ?
En 2015, en raison de l’épidémie à virus Ebola, le Maroc, qui était pays hôte de la CAN en 2015, avait sollicité le report de la CAN. Et le Comité exécutif de la CAF, après évaluation de la situation, avait jugé nécessaire de ne pas donner une suite favorable et de maintenir la compétition à la période prévue dans le calendrier de la FIFA, c’est-à-dire entre janvier et février 2015. S’il n’y avait pas un pays africain candidat, le Comité exécutif envisageait d’annuler la compétition parce que, pour le président Hayatou, il ne fallait surtout pas créer un précédent de changement des dates de la CAN. Ce serait la porte ouverte à toutes sortes de manipulations par la suite.
Au moment où la piste de la Guinée équatoriale s’est ouverte et qu’elle s’est confirmée, le président de la CAF est d’abord allé rencontrer le Président de la République. C’est par la suite que le Comité exécutif s’est réuni pour confirmer que la CAN 2015 se tiendra en Guinée équatoriale.
Une fois le report officiellement consommé, comment se comporte la CAF pour maintenir l’engouement, l’engagement chez les pays hôtes afin que l’évènement reporté reste préparé avec le même enthousiasme et la même verve ?
Si vous êtes un partenaire ou un sponsor, quand vous faites un plan marketing ou un plan de communication, vous intégrez évidemment des dates. Et quand il faut que ça change à chaque fois, ça vous impose quelques ajustements ; et ce ne sont pas des ajustements négligeables. Quand une bonne mobilisation populaire est faite dans le pays hôte, ça ne devrait pas beaucoup changer les choses, puisque la CAN n’est pas connue pour engendrer des mouvements importants de supporters entre les pays. Quand on n’a pas une planification bien réglée, bien rythmée, il est possible qu’on aboutisse à quelque chose qui ne soit pas la réussite escomptée.
À votre avis, que faut-il afin que définitivement l’agenda CAF s’harmonise avec celui de la FIFA ?
C’est une question qui avait déjà été réglée en son temps par les dirigeants d’une époque. Il y en a qui n’ont pas cru nécessaire de perpétuer la mémoire institutionnelle de la CAF. Or une CAN en janvier était déjà la conséquence d’un consensus. La CAN s’est parfois jouée entre février, mars voire avril. C’était la période idéale du point de vue climatique pour l’ensemble de l’Afrique pour disputer la compétition, selon les pères fondateurs de la CAF. Sauf que c’est la période capitale dans les championnats européens. Au moment où les footballeurs africains ont commencé à s’exporter, la question du maintien de la CAN à cette date-là s’est posée. Notamment avec la Fédération française de football. La France était à l’époque le pays qui employait le plus de joueurs africains. Cette discussion entamée à la fin des années 80, aboutit à un consensus qui fait passer la CAN de février-mars-avril à janvier-février. En Europe, ça correspondait à la trêve hivernale. Les championnats reprenaient vers la fin du mois de janvier. Il fallait mettre à profit cette trêve hivernale pour faire disputer la CAN. C’est ainsi qu’on est arrivé à un consensus autour des années 92 entre la Fédération française de football, la Confédération africaine de football et la FIFA. C’est ce consensus qui a débouché sur le calendrier international. En contrepartie, l’Afrique obtenait de pouvoir avoir tous les joueurs libérés en temps et en heure pour participer à la CAN. Avant, il était parfois imposé aux joueurs africains dans la période mars-avril, de faire des navettes entre leurs clubs et la sélection en fonction du pays où la CAN se disputait.