JO de Paris, Inflation sur le budget : Les facteurs à prendre en compte

La question du budget des Jeux olympiques de Paris 2024 alimente les débats depuis quelques mois. L’opinion s’interroge sur le coût réel de la compétition multisport que la capitale française accueille pour la troisième fois de son histoire. Entre le budget prévisionnel du dossier de candidature validé il y a près de 7 ans par le CIO et la réalité du moment, Vincent Chaudel apporte des éclairages et des éléments de compréhension.

« Les Jeux olympiques ne sont pas là pour gagner de l’argent, mais pour gagner du temps dans la transformation »

Vincent Chaudel, expert en marketing et cofondateur de l’Observatoire du Sport Business, vice-président du Think tank Sport et citoyenneté.

Les J.O de Paris sont financés à hauteur de 10 à 11,8 milliards selon des estimations. C’est l’un des jeux les moins coûteux de l’histoire des Jeux Olympiques, les 3e moins chers depuis 1988 précisément. Qu’est-ce qui explique cela ?

Bonjour! En fait, ce sont effectivement des jeux probablement les plus raisonnables depuis longtemps, puisqu’en fait, il y a très peu d’écart entre le budget de candidature de 6,7 milliards d’euros et le budget d’atterrissage qui devrait tourner autour de 9 milliards d’euros. Il y a moins d’un coefficient de 1,5 qu’on était à 1.3 ou à 1.2 et 1.4. La réalité des choses est qu’on a des écarts entre les candidatures et les budgets réalisés pour des jeux précédents qui sont plutôt de l’ordre de 2, 3 voire 4 fois, notamment pour Tokyo qui, malheureusement, a dû subir la crise Covid. Mais on a aussi de gros écarts, évidemment, à Pékin. Londres aussi est plutôt de l’ordre de trois fois. Donc ces jeux ont été raisonnés et raisonnables, essentiellement parce qu’il y a eu très peu d’infrastructures construites pour les jeux. Il y a beaucoup de réutilisation des équipements existants ou d’équipements temporaires dans des lieux existants, par exemple au Grand Palais ou au pied de la Tour Eiffel. Le choix qui a été fait, c’est de mettre le stade ou les stades dans la ville et d’utiliser la ville comme lieu de compétition. Ce qui va rendre les JO atypiques et magnifiques en termes d’images et en termes d’investissements assez maîtrisés et maîtrisables. L’écart qu’il y a entre le budget de candidature et le budget réalisé tient essentiellement à l’inflation, puisqu’on est à 6,7 milliards d’euros en 2017 de l’attribution et aujourd’hui, 7 ans plus tard, avec le phénomène de l’inflation, il y a eu la crise Russie-Ukraine qui a eu un impact sur l’énergie et le coût des matières premières, et puis bien évidemment le contexte géopolitique avec des coûts sur la sécurité.

On estime que la moitié de la cagnotte vient des caisses publiques. C’est Bercy seule qui a décaissé ou bien les collectivités ont aussi mis la main dans les poches ?

Pour ce qui est du budget et de l’argent public, il faut distinguer 2 choses: le budget de la compétition qui est de l’ordre de 4 milliards et le budget des infrastructures qui est de l’ordre de 4,5 à 5 milliards. Sur la partie de la compétition, on est sur 3 tiers. 1/3 lié au sponsor du CIO, 1/3 même un peu plus qui est lié à la billetterie, donc on a 1,2 à 1,3 milliard. Les sponsors du CIO ; la redistribution du CIO. On a 1,4 milliard de la billetterie et 1,2 milliard de sponsoring des entreprises, essentiellement. Et puis, il y a la partie infrastructures où on trouve essentiellement l’argent public. La Cour des comptes estime que l’argent public sera à minima de 3 milliards, voire de 5 milliards. Sur un budget total de retombées économiques estimé autour des 9 milliards d’euros. Donc, pour 1 euro investi d’argent public, 2 à 3 euros générés en argent global, ce qui rend l’équipement ou l’investissement très intéressant. Pourquoi il y a cet argent public ? Essentiellement pour transformer Paris. En fait, les Jeux olympiques ne sont pas là pour gagner de l’argent, mais pour gagner du temps dans la transformation. Grâce aux JO de Paris 2024, on va accélérer le transport du Grand Paris qui va relier les deux aéroports, par exemple, fluidifier la circulation dans les transports parisiens. C’est là un sujet très important, et puis on va transformer de façon positive le nord de Paris qui est aujourd’hui très populaire, très économiquement abîmé, et ça sera des quartiers qui vont du coup bénéficier d’un éclairage positif. Voilà ce qui explique cet argent public qui provient à la fois de l’État, mais aussi surtout des collectivités. Avant les jeux, il y a eu le parcours de la flamme qui a été financé par les départements, les régions et les villes qui l’ont accueilli, et c’est une autre façon de financer les jeux et de faire en sorte que ce ne soit pas des jeux uniquement de Paris, mais de la France.

Dans le dossier de candidature, le budget initial était de 3,2 milliards d’euros. Comment expliquez-vous qu’on se retrouve aujourd’hui à presque 12 milliards d’euros, selon certaines estimations ?

Quand on parle de 3,2 milliards d’euros de budget initialement prévu au niveau de la candidature, il faut clairement distinguer 2 budgets. Le budget de la compétition, qui était effectivement de l’ordre de 3,2 milliards, qui va atterrir à 3,9 pour être précis, et le budget des infrastructures. Le village olympique, le village des médias qui vont être des équipements qui seront reversés dans le cycle urbain pour la population, notamment de l’habitation avec un nouveau collège, des nouveaux gymnases, un centre aquatique, voilà. Il y a peu d’équipements qui ont été construits pour ces jeux, ce qui explique le fait qu’il n’y ait pas eu de grandes dérives, mais on ne passe pas de 3,2 à 9 milliards de budget. Les 3,2 milliards, c’est bien le budget lié à la compétition, et donc l’écart est plus raisonnable entre les 3,2 (en 2017) et 3,9 (en 2024). Il faut intégrer l’inflation, il faut intégrer le surcoût de l’énergie, et quelques choix, quelques mauvaises surprises ou quelques contraintes, notamment le problème de la tour à Tahiti pour le surf. Il y a eu quelques aléas de la sorte, mais globalement, le budget est maîtrisé.

Les Jeux olympiques sont-ils rentables ?

Parler de rentabilité pour les Jeux olympiques, ça dépend de quelle rentabilité on parle. Si c’est rentable pour le Cio, de toute évidence, oui! Est-ce que c’est rentable pour les pays ou les villes hôtes ? Alors ça dépend de ce qu’on attend par rentabilité. Je pense qu’il ne faut jamais accueillir les Jeux olympiques pour gagner de l’argent en tant que ville hôte ou pays hôte, mais pour gagner du temps, gagner du temps dans sa transformation! Ça a été le cas pour Londres, pour tout l’est de la ville. C’est le cas de Paris pour le nord de la ville. Ça a été le cas pour Rio et ça a été au-delà de la ville, pour la démonstration que le Brésil était devenu un pays important. Si on prend le cas de Pékin, c’était un autre objectif, c’était un objectif de politique intérieure. Donc, la rentabilité des Jeux olympiques ne doit pas se lire uniquement sur le plan financier. Ça dépend des objectifs, des candidatures ou des villes hôtes et, en tout cas, il faut aller doucement sur le sujet de gagner de l’argent parce qu’il y a toujours matière à discuter sur les évaluations. Le CDES de Limoges a publié, pour le compte des Jeux olympiques Paris 2024, des études des impacts économiques en amont des Jeux au moment de la candidature et puis les a actualisées en avril dernier. Il y a 3 scénarios. Le scénario bas, moyen-médian et maximum qui, en fait, est lié à l’impact touristique, parce qu’il y a 3 périodes qu’il faut intégrer dans l’impact économique. Il y a le sujet de l’organisation elle-même, il y a le sujet de la construction et il y a le sujet du tourisme. Sur l’organisation et sur les infrastructures, il n’y a pas de surprise: tout ce qui est prévu à un coût sera livré à ce coût-là ou globalement, à part les surcoûts d’inflation ou les surcoûts d’énergie, puisque là, on a une crise énergétique avec l’Ukraine et la Russie et puis le problème de la sécurité. Globalement, ça se tient, l’écart sur le tourisme va dépendre de la venue, de la participation des gens, du tourisme international. Il s’évalue sur la durée et non pas uniquement sur la compétition. D’où les 3 options: les retombées à 7, à 9 et à 11 milliards.

Quels gains l’Afrique tire-t-elle de ces jeux en dehors de la médiatisation sur quelques médailles glanées çà et là ?

Pour l’Afrique, c’est tout le sujet des Jeux olympiques parce qu’aujourd’hui, on regarde essentiellement le classement des nations au niveau des Jeux olympiques mais le classement des nations n’est vraiment pas le bon outil de mesure pour les pays africains. Si on prend le cas des Jeux de Rio, il y a eu 96 nations qui ont ramené des médailles sur 205 délégations. Moins de la moitié des pays ont obtenu au moins une médaille et, sur ses 96 délégations qui ont ramené au moins une médaille au pays, il n’y a eu que 13 nations africaines. Donc, ce n’est clairement pas à l’avantage des nations africaines, tout simplement parce que ne se classent aux Jeux olympiques que les pays qui ont des médailles, hors il n’y a que 3 médailles dans chaque discipline. C’est difficile pour un pays, pour la quarantaine de pays africains de savoir vraiment où se situer, comment se classe-t-ils réellement par rapport à la concurrence continentale ou mondiale. C’est pour ça qu’avec la NDU, l’université du Liban, Self nutrition et l’observateur du sport business, on a travaillé depuis une dizaine d’années sur un indice qui permet d’avoir différents classements le World Sport Ranking (WSR) qui permet de prendre en considération les résultats internationaux, tous les résultats par les 3 premières places, les résultats internationaux pour plus de 110 disciplines et ça permet de classer les plus de 200 nations et donc on peut dire de façon précise sur les résultats bruts où se situe le Cameroun, le Niger, le Bénin, la Côte d’Ivoire et tous les autres pays, bien évidemment d’Afrique. Après, on peut recroiser ses résultats-là par rapport au PIB, donc à la richesse du pays par rapport à la population, par rapport à la santé, au taux d’obésité, c’est ce qu’il nous permet d’avoir différentes clés de lecture, et c’est ça qui me semble important. Parce qu’une médaille, le Cameroun peut en ramener une, deux ou trois en fonction du facteur chance aussi, du talent, bien évidemment, en Afrique il y en a beaucoup, mais la différence entre le 3e et le 4e dans bien des disciplines est marginale, elle est très faible. Sauf que c’est la différence qui fait que vous êtes dans le classement olympique ou pas. On ne peut qu’espérer qu’à ces Jeux de Paris, il y ait plus que 13 nations africaines qui ramènent des médailles, mais dans le cas contraire, il y aura toujours le WSR et ses classements qui permettront à chaque pays africain de se mesurer, de se positionner.

À quel horizon situez-vous la possibilité d’organiser les J.O par un pays africain ?
Lesquels ont la faveur de vos pronostics ?

En l’état, il est compliqué pour un pays africain d’organiser seul des JO, d’être capable de supporter 10 milliards d’euros d’investissements. Peu de pays sont capables de le faire d’une façon générale et en Afrique, peut-être l’Afrique du Sud qui a déjà accueilli une coupe mondiale de football. Mais il peut y avoir une autre approche; jusqu’ici, les J.O. n’ont pas fait le choix que le football a fait, d’avoir une organisation multi pays, mais peut-être que multi villes. Là, on passe déjà à une organisation multi régions au niveau des jeux de 2032 en Australie, c’est peut-être une piste pour qu’en Afrique, à un moment donné, on puisse accueillir des JO. Il y a déjà les JO de la Jeunesse qui nécessitent un investissement moins important, ça va être le cas à Dakar. Ce qui est clair, c’est que le sport est un peu victime de son succès. Aujourd’hui, les JO, c’est 10 000 athlètes à accueillir, à héberger, à sécuriser. Ce sont de gros enjeux pour les sponsors, pour les diffuseurs et donc des infrastructures sécurisées technologiquement à la pointe. Ce n’est pas simple et le nombre de pays capables de les accueillir aujourd’hui se réduit à chaque édition, donc c’est un vrai problème. Je pense que l’Afrique serait en capacité de le faire en multi pays les 20 prochaines années. Quand je dis 20 prochaines années, il faut garder à l’esprit qu’on est déjà dans les 10 prochaines années, on a déjà les attributions jusqu’en 2032, donc on ne peut parler que de 2036. Il faut voir quels sont les pays qui voudront se positionner. On sait que l’Arabie Saoudite a pour ambition de les récupérer et qu’économiquement, ce n’est pas un sujet pour elle, et donc il faudra être prêt à aller probablement plus du côté du continent américain. Donc, ça ramène plutôt à l’horizon 2040. Donc ça sera difficilement avant 2040 que l’Afrique pourra l’organiser, et encore peut-être une fois en multi pays.

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