Des performances stables d’une olympiade à l’autre, l’Afrique ne cesse d’écrire son histoire olympique. Une histoire ne se conjugue pas encore dans le cercle très fermé des grandes puissances olympiques mondiales. Jean Baptiste Guégan dissèque les obstacles de divers ordres entravant les lauriers engrangés jusque-là et tout le potentiel affiché.
L’avenir de l’olympisme, c’est l’Afrique
Jean Baptiste Guégan, est consultant et enseignant en géopolitique du sport. Il intervient a Sciences Po. Auteur d’une dizaine de livres et conférencier
Dans l’histoire des Jeux olympiques, l’Afrique n’a cessé de progresser en termes de bilan sportif. Cependant, elle est encore loin de l’élite olympique. Pourquoi ?
La première raison de la performance de l’Afrique dans le monde olympique, est qu’au moment où l’olympisme s’est construit, l’Afrique est devenue un enjeu colonial et géopolitique. La place de l’Afrique dans le sport n’est pas liée à une quelconque question de potentiel. Elle est d’abord liée à une question historique, de puissance et de géopolitique. Il y a une deuxième raison qui est plus essentielle : l’absence d’infrastructures sportives et éducatives ainsi que la capacité de développement. Plus de la moitié des infrastructures existantes par exemple sont encore en héritage de la période coloniale. Et pourtant ça fait longtemps que l’Afrique a obtenu son indépendance. La troisième raison est celle de politique intérieure, la question de l’instabilité gouvernementale et de la mal gouvernance. Les élites africaines, lorsqu’elles arrivent au pouvoir sont caractérisées par la kleptocratie. Elles ont tendance à ne pas prioriser le sport sauf quand ça va dans leurs intérêts. Il y a toute une multitude de raisons qui expliquent l’absence de performances parce qu’il y a une corrélation entre la performance sportive, le niveau de développement et la capacité à la recherche scientifique. Malheureusement, l’Afrique se retrouve en queue de peloton dans cette situation-là. L’Afrique c’est moins de 3% des médailles alors que c’est plus de 20% de l’humanité et le continent le plus jeune. Vous ajoutez à ça une instrumentalisation politique du sport, et vous comprenez pourquoi il y a une telle absence de performances sportives.
Après, parler de l’Afrique c’est aussi incohérent que parler finalement du monde. Chaque pays a un contexte particulier et des différences. Ça explique aussi pourquoi il y a autant la problématique de la double nationalité et pourquoi aujourd’hui on se rend compte que l’Afrique devrait être largement en tête des médailles. Et beaucoup d’entre elles vont dans les pays développés. Les pays développés enregistrent environs 70% des récompenses olympiques. C’est en grande partie parce qu’ils ont les systèmes qui manquent à l’Afrique notamment la stabilité politique, la puissance scientifique et économique, l’intérêt national et les politiques de long terme. Aujourd’hui, si vous êtes un sportif africain et que vous avez la double nationalité, il est parfois préférable d’aller dans les pays occidentaux où il y a plus de moyens. Toutefois, on a un mouvement inverse. Il y a des gymnastes par exemple qui lorsqu’ils ne sont pas reconnus en occident font chemin inverse.
D’un autre côté, les Jeux olympiques peuvent-ils se tenir sans l’Afrique ?
Non seulement les Jeux olympiques ne peuvent pas se passer de l’Afrique, l’Afrique elle, ne peut pas se passer des Jeux olympiques non plus, notamment en terme de reconnaissance, d’existence et de capacité à montrer le meilleur d’elle-même. Surtout que le principe même de l’olympisme c’est de rassembler le monde. L’Afrique en fait partie, sa jeunesse en est une force vive. Elle va même être la force vive du monde parce que c’est le continent le plus jeune. L’avenir de l’olympisme c’est l’Afrique. Qu’on le veuille ou non les futures performances seront africaines parce que la jeunesse y sera. Le potentiel démographique s’y trouve. On l’a vu déjà avec les performances du Soudan du Sud qui accroche team Usa en basketball durant la préparation des Jeux olympiques, avec l’émergence d’élites sportives africaines dans des disciplines dans lesquelles on ne les voyait pas avant parce qu’il y a des politiques sportives, des politiques publiques, des moyens investis, des stratégies stables sur du long terme, etc. L’olympisme a donc besoin de l’Afrique parce que ce continent c’est aussi les consommateurs, plus de 300 millions de classe moyenne et la perspective derrière de 2 milliards de personnes qui regardent. Sur un continent comme celui-ci qui a besoin de divertissement, l’Afrique est donc d’autant plus nécessaire. Et puis, il y a une vraie passion olympique, une vraie histoire. On ne peut pas découpler l’histoire de l’indépendance et de l’émergence de l’Afrique du sport.
L’Afrique, c’est également des performances encourageantes dans certains sports et des domaines réservés dans d’autres disciplines avec des légendes comme en athlétisme. Quel sont les impacts de ces actifs sur le développement du sport sur le continent ?
Une histoire en sport c’est une incitation pour les autres, une inspiration, un modèle pour les jeunes. C’est aussi le gage d’une réussite possible. Oui ! C’est possible regardez, je l’ai fait ! C’est la trajectoire de Joel Embiid au Cameroun ou encore de tous ces sportifs qu’on voit performer et qu’on découvre à l’occasion des jeux. Et on le voit aussi dans les sports collectifs qui demandent beaucoup plus de moyens et de technicité. Regardez les performances du Maroc en football, du Soudan du Sud en basketball, le développement des compétitions à l’instar de l’Africa Football League, la Basketball Africa League, etc. Oui il y a un impact direct parce que ça crée des motivations, des repères. Ça incite aussi les gouvernements parce qu’ils comprennent bien le retour politique sur investissement à s’associer à ces vecteurs. On l’a vu avec le président ivoirien lors de la dernière CAN. Ce n’est pas pour rien que le Maroc est présent dans le sport depuis une dizaine d’année. Et dans ces cas-là, ça incite à la construction de politiques sportives parce que les champions ne s’improvisent pas. Il vaut mieux former au regard du réservoir démographique. Derrière ça, on peut déboucher sur des infrastructures. À côté de l’investissement sur les infrastructures, il faut mettre des sportifs dedans parce que la notion de l’Etat aujourd’hui est fondamentale. Une fois que vous avez ça, vous êtes sur une logique assez simple. Après il faut développer les sportifs qui vont incarner le pays, apporter des victoires, être les acteurs de ce qu’on appelle le « Nation-Building », la capacité à l’unité et la cohésion nationale, et des porteurs du « Nation-Branding » qui valorisent l’identité nationale à l’extérieur à la fois pour son propre pays et pour les autres. Dans ce cadre-là, on a besoin des sportifs. Donc, on est appelé à mettre en place les politiques publiques pour les détecter, les former et les accompagner. Il y’a un vrai cercle vertueux qui peut se mettre en place. Et ce cercle est positif pour le sport en Afrique. C’est une réponse aussi aux demandes et besoins locaux.
Le continent africain est-il en droit de rêver de l’organisation des Jeux olympiques sujets à des contraintes géopolitiques fluctuantes ?
L’Afrique est en droit d’attendre les Jeux olympiques. Elle l’espère. Sauf que ce n’est pas un continent organise mais un pays. Et donc là on se retrouve confronté aux problèmes de mal gouvernance et de mal développement, des élites africaines et de leur incapacité à construire des politiques de long terme, des ingérences étrangères qui vont souvent affecter les régimes les plus stables. Le Sénégal qui a été capable d’assurer l’alternance, a montré au monde qu’un pays africain est en capacité d’accueillir le monde dans une épreuve multisports, avec les infrastructures neuves et dimensionnées pour cet effet. Après, tous les pays ne sont pas capables de suivre. Le nombre de potentiels candidats est limité et on se rend compte qu’il y a une vingtaine de pays qui n’ont pas par exemple de stades homologués aux normes de la FIFA. Ça en dit long sur les limites actuelles du continent. Vous ajoutez l’instabilité politique, la dimension autocratique de certains Etats, la question du financement à plusieurs milliards de dollars avec des retombées limitées, etc. Maintenant, on a vu que le Maroc était capable de le faire en accueillant la prochaine CAN et la Coupe du monde en 2030 avec un projet pharaonique de stades. C’est possible et c’est un choix de développement. Le Maroc a une stratégie planifiée et intéressante. Tout n’est pas acquis, il faut réussir et tenir les délais. C’est un crash test. Sur les 20 prochaines années, on saura. L’Afrique du Sud par exemple a montré que c’était possible pour le continent africain d’organiser une Coupe du monde de football et de rugby. On peut aussi imaginer des jeux organisés sur plusieurs pays pour mutualiser les coups, cela peut aussi être la clé. Oui l’Afrique peut se permettre de rêver. Mais, le rêve a un coût qui est celui de la stabilité politique et de la priorisation des dépenses.