Philippe Doucet : Journaliste sportif et Consultant sur la chaine Canal+

En finale de Coupe du Monde, il y avait juste Hugo Lloris dans les buts et dix Noirs sur le terrain

Le récent et encore très actuel « dérapage » de Noël Le Graët, président de la Fédération Française de Football, au sujet de Zinedine Zidane peut-il être considéré comme la boulette verbale de trop pour lui ? 

Ou sommes-nous tout simplement face à une manifestation parmi tant d’autres de ce que pensent réellement et en général la France, au sujet des hommes de couleurs ?

On peut parler effectivement de grosse boulette, de grosse maladresse, et évoquer plein de mots pour qualifier la sortie de Noël Le Graët qui a été irrespectueux, inconvenant, imbécile  à la limite, vis-à-vis de Zidane. Un geste incompréhensible en tout cas puisque Zidane n’est même pas intervenu dans ce débat. 

Je suppose que cela fait suite à l’exaspération du président Le Graët devant le nombre de questions qu’il avait à traiter par rapport à Zidane. Mais évidemment le minimum de bon sens politique aurait été de répondre qu’il avait un sélectionneur qui s’appelait Deschamps pour le moment, et que pour Zidane on verrait peut-être plus tard. Mais au lieu de cela, il a ajouté des propos complètement idiots, absolument stupides et décalés, dans le style « je ne le prendrai même pas au téléphone, etc. ». 

Ceci pourrait relever d’une exaspération personnelle pour avoir tout le temps les mêmes questions revenant sur Zidane. C’est aussi la preuve que le président Le Graët n’était plus dans la capacité de gérer cette fédération correctement. Il était sans doute déjà diminué physiquement et sûrement plus à même de répondre même à une interview.

« Affaire Noël Le Graët », un discours équivoque ou un dirigeant sportif essoufflé et en déphasage avec la société française actuelle ?

On peut effectivement considérer que c’est un dirigeant à la fois en difficulté physique sans doute, mais en difficulté morale aussi par rapport à son époque. C’est-à-dire qu’il ne se rend absolument pas compte que ses comportements inconvenants, répétés et bien connus vis-à-vis des femmes, tout d’un coup se révèlent insupportables pour la société. Un certain nombre de preuves commencent à s’accumuler, montrant que ce personnage n’était plus en phase en partie avec lui-même, et n’était plus en phase avec la société. 

Quand il estime lors du Comex qu’il n’a rien fait, qu’il n’est coupable de rien et que le rapport dira qu’il est innocent, il est complètement à côté de la plaque. Ses agissements sont considérés comme fortement répréhensibles au regard de sa fonction.

Avez-vous l’impression qu’il existe un manque de considération du « Dirigeant sportif » français envers les athlètes issus de l’immigration africaine ? 

Ce manque de considération pourrait exister en effet vis-à-vis d’athlètes issus de l’immigration, issus des milieux défavorisés ou de niveau social assez bas. Mais là, en l’occurrence ce qui concernait Le Graët et Zidane, non ! On n’était pas dans cet aspect-là. Évidemment que Zidane mérite de la considération. Il a fini par reconnaître sa bourde mais 24 heures trop tard. Parce qu’il n’était probablement pas complètement dans son état normal lorsqu’il a fait la déclaration en question. 

Mais oui, en règle générale, certains dirigeants un peu vieille époque ont parfois un peu de mal face aux athlètes venus de milieux défavorisés, donc souvent de l’immigration africaine ou autre. Mais ce n’est pas que le propre de la France. Malheureusement je vois la même chose en Afrique, je suis désolé. 

Je trouve qu’il a souvent un manque de considération des dirigeants sportifs pour les vrais sportifs. Il y a un manque de considération général parce que l’athlète n’appartient pas à une élite à laquelle le dirigeant sportif croit lui-même appartenir et alors se sent supérieur.

L’affaire de la sextape, le forfait de Karim Benzema au récent Mondial, les contrats publicitaires avec Kylian Mbappe, le manque de soutien au rappeur Youssoupha, peuvent-ils constituer entre autres des éléments à charge ?

Plusieurs affaires de déviances sexuelles ont eu lieu à la fédération et ont été complètement minorées ; des choses sont arrivées à Clairefontaine, avec des éducateurs virés sans qu’aucun rapport n’ait été produit et sans aucune dénonciation ni avertissement officiel. Et ces gens retrouvaient des postes avec à nouveau des enfants à leur charge, dans des clubs ou autres organisations dépendant de la fédération. Il faut parler de tout ceci mais pas seulement sous le prisme des manquements de monsieur Le Graët et de ses petites phrases sur Zidane ou autre. 

À la limite il y a des problèmes beaucoup plus graves que les petites phrases sur Zidane à traiter. J’en veux pour preuve sa dernière déclaration dans l’interview où il y avait aussi un passage où il expliquait qu’il discutait avec Didier Deschamps de sa succession et de ce qu’il faudrait faire. C’est-à-dire qu’on a un mépris complet de tout ce qui tient de la démocratie, de tout ce qui est vertu de base dans les comportements. Alors ne pas s’étonner que ça débouche bien plus tard sur des problèmes de société bien plus graves.

La fédération française est bel et bien engagée dans la lutte contre le racisme, mais comment comprendre la très faible présence de « la diversité » sur les bancs de touche en France aussi bien en clubs professionnels qu’à l’équipe nationale, ou encore au sommet même de l’institution fédérale ?

Effectivement il y a une faiblesse de la diversité sur les bancs de touche en France. C’est probablement aussi dû au fait des minorités qui, pendant longtemps, n’ont pas cherché à exercer. J’en veux pour preuve que dans la communauté maghrébine par exemple, il y a beaucoup d’entraîneurs au niveau amateur, c’est peut-être moins vrai chez les gens d’origine Afrique subsaharienne qui ont peut-être montré moins d’intérêt pour la profession. 

Heureusement, il y a une progression dans le domaine. Ce n’est pas forcément une action fédérale mais, une évolution générale de la société. Nous avons aujourd’hui M Diallo qui va assumer l’intérim pendant six mois ou un an et demi à la tête de la FFF. Il pourra se présenter comme candidat mais parallèlement, il y a d’autres candidats dont l’un d’origine algérienne. 

Je pense qu’il ne faut pas faire continuellement des procès. La société évolue et le football aussi.

Un président de la Fédération Française de Football, de manière permanente et effective est-ce pour aujourd’hui à votre avis ?

Evidemment pour l’instant et comme il n’y a pas eu une démission totale de l’ensemble du Comex, c’est un « président par intérim » comme l’imposaient les statuts de la fédération. C’est juste une mise en retrait du président jusqu’à la sortie du rapport qui établira les faits sur son comportement notamment. Néanmoins, il est évident qu’il n’y aura pas de retour en arrière, Noël Le Graët ne reviendra pas à la présidence de la fédération. 

Donc l’intérim va se prolonger à minima jusqu’en juin 2023 où, selon les statuts, il y aura au niveau de l’assemblée générale un candidat issu du Comex qui sera proposé. Ça peut être M Diallo tout simplement, ou un autre parmi les douze membres du Comex, ou plutôt des onze actuels puisque M Le Graèt a été mis en retrait. Un nouveau « vrai » président élu, ce sera pour décembre 2024.

Certains scandales ont déjà émaillé le foot français notamment celui des quotas, qui depuis la base, limiteraient l’accès aux centres de formation et donc rationneraient l’ascension des jeunes issus de la diversité vers le monde sportif professionnel. Y aurait-il à votre avis un réel problème « Noir professionnel » dans le milieu sportif en France ?

Il y a effectivement eu une affaire des quotas qui était la révélation des discours à l’intérieur de la fédération française. Des formateurs qui discriminaient, qui expliquaient qu’il faudrait limiter, qu’il y avait trop de Noirs, ou trop d’Arabes. 

Est-ce qu’il y aurait des ratios, des quotas effectifs ? Non ! La réalité, peut-être qu’il y aurait ici et là des comportements de ce type qui auraient lésé tel ou tel jeune, avec telle proportion dans tel ou tel club. Mais globalement, il suffit de noter que l’équipe de France qui a fini la finale de la Coupe du Monde, n’avait que Lloris dans les buts et dix Noirs sur le terrain et dont la moyenne d’âge était inférieure à 24ans. 

Donc, je pense que l’on peut considérer aujourd’hui plus que jamais, que ces enfants d’immigrés, ces Français de deuxième ou de troisième génération, sont aujourd’hui ceux qui forment le plus gros du bataillon formé en France. La formation française se porte mieux grâce à ces minorités qui représentent de manière effective, la véritable majorité.

Les pays d’origine auraient-ils une part de responsabilité dans « l’humiliation » subie par leurs jeunes ressortissants dans le contexte décrié ici qui est celui du racisme en milieu sportif ?

Les problèmes identitaires sont mondiaux. Il y a certes le racisme dans le sport, il y a des problèmes de société qui s’exercent dans le sport évidemment, mais souvent de façon bien moindre que dans le reste de la vie courante et notamment dans la politique où là on est dans l’apogée des idées les plus rétrogrades possibles, bien plus que ce qui se vit dans le sport. Maintenant, quand on est en charge d’une fédération, l’une des missions primordiales est que ces comportements déviants disparaissent et que s’il y en a un seul c’est trop. C’est à une fédération d’éradiquer ce genre de problème. 

C’est la responsabilité de tout le monde, de tous ceux qui sont impliqués dans ces circuits-là. L’être humain a beaucoup de faiblesses et se trouve dans une période extrêmement délicate avec des problèmes identitaires assez marqués. Et malheureusement le monde entier en souffre, bien largement au-delà du sport qui nous préserve des comportements déviants. C’est dans le sport qu’on devrait trouver plus de réconfort qu’ailleurs dans la société.

Source Yannick N'Degue Emmanuel Abena

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